dimanche 25 février 2007

Mon cher ami,

Je sais que, comme moi, vous êtes de droite. Mais je sais aussi que vous voyez en Nicolas Sarkozy le candidat sur lequel se porte votre choix pour l’élection présidentielle de 2007. Vous avez le sentiment qu’après douze années de politique de gauche portée par un homme élu avec une étiquette de droite, nos idées vont enfin être défendues sans compromis par votre champion et être appliquées fermement afin de redresser notre pays qui ne cesse de glisser sur une pente descendante. Vous entendez ses discours pleins d’allant et de volonté, et pensez que les réactions vives du Parti socialiste à ses propositions sont le signe d’un engagement bien ancré à droite. Les journaux le décrivent comme un candidat chassant sur les terres des partis populistes, et vous croyez que son programme sera enfin le retour de la droite au pouvoir.
Pourtant, j’ai lu pour vous ce qu’il a réellement écrit, et je n’y ai trouvé que des réflexions dignes des associations satellites du Parti socialiste, voire du Manifeste du Parti communiste ! La substance de nos idées y est au mieux absente, au pire littéralement inversée. Les seules idées que nous partageons finissent, systématiquement, par être relativisées par des conclusions inappropriées.
Laissez moi vous présenter, thème par thème, l’opposition entre nos idées et celles de M. Sarkozy.

L'immigration

Mon ami, l’immigration est un thème que M. Sarkozy arrive particulièrement à détourner pour tenter de plaire aux électeurs de droite tout en adoptant l’attitude la plus contraire aux impressions qu’il donne. Et pourtant, il semble partir d’une bonne intention. Comment ne pas le suivre dans l’attitude à adopter envers les pays d’Afrique, originaires de l’immigration subie en Europe, lorsqu’il dit par exemple :
« Il convient notamment d’arrêter de les exonérer de toute responsabilité dans le retard de développement de leur continent. Faire reposer l’échec africain sur les seules conséquences de la colonisation est contraire à la réalité. »*
Comme vous, je suis las de la politique de repentance systématique suivie par notre pays depuis l’arrivée de M. Chirac au pouvoir. Comme vous, je crois qu’en lisant cela, notre pays peut retrouver l’espoir de la fierté.
C’est peut-être pour cela que les discours de votre candidat provoquent des réactions hostiles de la part des associations de défense des immigrés clandestins (que les journaux appellent les « sans papiers »). Pourtant, en tant que ministre de l’Intérieur, il a suivi la politique laxiste de la plupart de ses prédécesseurs. Ainsi, lorsqu’un grand nombre de clandestins se retrouvèrent à Sangatte, il négocia l’accueil de la moitié d’entre eux en Angleterre en s’engageant à en accueillir l’autre moitié. Cela devait s’entendre sans exception, pour ne pas avoir à sélectionner ceux qui avaient un proche déjà installé : « Je ne voulais pas faire une telle sélection : sous quelle forme, selon quelle procédure, sur quelles preuves, et surtout au nom de quoi dès lors que tous avaient souffert pour arriver là et payé chèrement des passeurs sans scrupule ? »*
Vous conviendrez qu’il s’agit d’une vision de la justice qui s’apparente plus à celle d’Attac qu’à celle des partis de droite : puisqu’ils ont été opprimés par un ordre bourgeois (ici, des passeurs), et même s’ils ont agi contre des règlements édictés par un autre ordre bourgeois (le droit des pays riches), ils ont atteint un rang dans la martyrologie socialiste qui leur donne ipso facto la citoyenneté de la République (en l’occurrence française). « Nous les avions accueillis, l’humanité commandait des tous les garder. »*
Vous pensez certainement, mon ami, que nos valeurs commandent justement un tel comportement, fut-il contraire aux lois ? Je ne saurais vous désavouer sur cet aspect purement juridique : bien évidemment, si une loi est foncièrement injuste, il est du devoir de quiconque de s’y opposer. A fortiori, un homme politique au pouvoir doit s’appliquer à la faire supprimer et ne doit pas prendre de décrets d’application en attendant. Mais la loi française, selon laquelle un clandestin est un clandestin, est-elle une loi injuste ? Un Etat a-t-il vocation, selon les règles morales qui ont façonné notre civilisation, à accepter toute la misère du monde sur son sol ?
Selon le cardinal Biffi, qui s’exprimait à ce sujet en 2004 à propos de l’Italie, il ne peut pas en être question :
« Une introduction considérable d’étrangers dans notre péninsule est acceptable et peut même s’avérer bénéfique, à condition de s’occuper sérieusement de sauvegarder la véritable physionomie propre de notre nation. […] Dans une perspective réaliste, on préférera (à égalité de conditions, surtout pour ce qui concerne l’honnêteté des intentions et la correction du comportement) les populations catholiques ou au moins chrétiennes, dont l’insertion est infiniment plus aisée [...] ; puis les Asiatiques [...], qui ont montré leur capacité à s’intégrer avec une bonne facilité, tout en conservant les traits distinctifs de leur culture. »
On peut évidemment trouver des réflexions antagonistes énoncées par d’autres prélats catholiques sur ce sujet. Mais l’étude de l’histoire de l’Eglise au XXe siècle permet de savoir que ces prélats ne parlent pas au nom des valeurs traditionnelles de l’Eglise mais d’une déviation dite « moderniste » qui est à la religion ce que la gauche est à la politique.
D’une manière plus générale, sur ce même plan moral, je suis convaincu que le référentiel de M. Sarkozy au sujet de l’immigration n’est pas le nôtre. D’ailleurs, s’il critique la politique des banlieues de ses prédécesseurs comme ayant conduit à des situations de zones de non droit, il leur reproche aussi de les avoir laissé s’enfoncer depuis des années dans la « désespérance »*. On le voit donc dédouaner les délinquants d’une partie de leur responsabilité, et cette désespérance fait écho à la « haine » du cinéaste Mathieu Kassovitz. Pour un gauchiste comme pour M. Sarkozy, les jeunes de banlieues ne sont pas responsables de cette haine, puisqu’elle est censée être le résultat d’une situation qu’ils n’ont pas voulue, et qui leur est imposée et par l’Etat, et par le peuple autochtone.
C’est donc tout logiquement que M. Sarkozy a décidé récemment d’interdire la reconduite à la frontière de ceux qui avaient un enfant scolarisé en France. Comment croire qu’il lutte contre l’immigration, alors qu’il va jusqu’à risquer de prendre des mesures contraires à la loi pour favoriser l’installation des populations concernées ! Quel engagement ! Pour bien montrer sa détermination à favoriser l’immigration clandestine, il a même demandé, dans son combat, le soutien de l’avocat Arno Klarsfeld, homme de gauche lui servant d’une certaine manière de caution morale. Car pour M. Sarkozy, il est admis que dans la société, ce soit la gauche qui incarne la caution morale de toute chose (1).
Pour bien enfoncer le clou, M. Sarkozy a aussi obtenu des député une loi imposant le maintien sur le territoire français des immigrés condamnés à de la prison, ce qu’il appelle, selon la terminologie des médias immigrationistes, la suppression de la « double peine ».
Il s’est aussi illustré dans ce qu’il appelle la « discrimination positive ». Il explique dans son livre* qu’il a été subitement converti à cette politique. Il précise que, contrairement aux Etats-Unis, les minorités issues de l’immigration récente n’ont pas atteint de haut rang dans la société. Il semble oublier que les petits caïds prospèrent dans les banlieues, dans une société fermée où aucune politique de discrimination positive n’est envisagée pour permettre à des Français de souche d’avoir la moindre influence sociale. Le cheminement intellectuel qui conduit à militer ainsi pour la préférence étrangère est confus, mais le résultat ne souffre d’aucune équivoque.
D’ailleurs, l’ensemble de ses arguments semble emprunté aux associations satellites du parti socialiste : il refuse de « punir »* une famille entière par le renvoi du père à l’étranger à cause de ses propres fautes, car renvoyer des délinquants ou des criminels serait avoir une « conception raciste et xénophobe de l’immigration »*. On croit rêver ! Si cette famille aime tant ce père, elle peut le suivre à l’étranger, au nom de ce fameux regroupement familial ! Qu’y a-t-il de raciste que de pratiquer la même politique que presque tous les autres pays du monde ? Qu’y a-t-il de xénophobe que de ne pas reconnaître qu’un délinquant est un délinquant, fût-il étranger ? Notez, au passage, que pour appuyer cette action, M. Sarkozy s’est là encore appuyé sur des personnalités de gauche, telles qu’un pasteur protestant responsable de la « marche des beurs » ou que le cinéaste Bertrand Tavernier.
Il est en réalité allé plus loin que les socialistes n’avaient osé aller, même si cette mesure faisait partie, comme il s’en vante lui-même, des cent dix proposition du candidat Mitterrand en 1981. Les députés socialistes ont d’ailleurs voté cette loi à l’unanimité !
En réalité, la France de M. Sarkozy est celle espérée par les lobbies pro-immigrationistes et par les associations racistes anti-Français. C’est une France qui se croirait ouverte au monde entier, sous couvert d’une fidélité à « un idéal de tolérance et de générosité »*. Mais cette soi-disant tradition française ne date que de 1962, année où l’on a pris le parti de changer l’orientation naturelle de la géopolitique française : importer des colons étranger et envoyer des richesses à l’extérieur des frontières quand, depuis la nuit des temps, la politique extérieure avait été l’inverse.

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* Toutes les citations marquées d’un astérisque sont extraites de son ouvrage Témoignage (Editions Xo, 2006).

(1) Dans La République, les religions, l’espérance (Editions Cerf, 2004), il laisse à penser qu’un homme de cœur est nécessairement de gauche, mais que le pragmatisme impose une politique de droite.

La laïcité

Mon ami,
Votre candidat nous explique que le contrat social qui fait vivre notre pays serait la laïcité. Mais qu’est-ce que cette sacro-sainte laïcité qu’on ne cesse de nous présenter comme allant de soi ? Bien évidemment, peu de gens ont aujourd’hui de souvenirs personnels de l’année 1905, date à laquelle elle fut imposée au pays par la force des baïonnettes.

Son origine n’est pas le résultat d’une démarche permettant l’amélioration du « vivre ensemble », pour reprendre une expression à la mode. A l’époque, en France, presque tout le monde se disait catholique, et il n’y avait pas de communautarisme. Il n’y avait pas de ghettos athées ou protestants, et reléguer officiellement le culte divin à la sphère privée avait peu d’impact sur le caractère public de ce culte dès lors que quasiment toute la population du pays y participait.
La finalité de cette loi de 1905 était bien de s’attaquer au cléricalisme. Il s’agit exactement de l’origine historique de ce qu’on pourrait appeler, en France, la gauche, si tenté qu’on veuille distinguer une droite d’une gauche. En réalité, l’Eglise a toujours lutté contre cette vision de la laïcité, y compris après le concile Vatican II, même si elle l’a alors fait en des termes plus nuancés. Notez bien que les propos de Benoît XVI sont, eux, à cet égard, de moins en moins nuancés. Certes, certains évêques, surtout en France, se sont prononcés pour la laïcité à la française. Mais comme je vous le disais à propos de l’immigration, leur attitude est issue de l’idéologie moderniste, qui a été condamnée par l’Eglise. On pourrait simplifier cette situation en disant que ces évêques sont la première génération (et très certainement la dernière) de prélats de gauche. Leur modèle de civilisation ne correspond plus à celui qui avait été prôné par Jésus-Christ, et que les Chrétiens se sont toujours appliqués à mettre en place ou à conserver, parfois même au prix du martyr. Pour ne pas s’opposer à la puissance de l’Etat, ces évêques se sont embourgeoisés, et ont préféré fermer les yeux sur un certain nombre de principes moraux plutôt que de perdre leurs avantages matériels. Ne vous y trompez pas, l’embourgeoisement, c’est-à-dire le fait de privilégier le confort matériel (pour soi-même ou pour toute la population) à d’autres idéaux, est bien le résultat d’un état d’esprit de gauche.
En réalité, une société de droite n’est pas anti-religieuse, même dans un régime républicain.
Mais voici que votre candidat veut remettre en cause les principes de 1905. S’il s’agissait de rendre à l’Eglise ce qu’elle avait bâti depuis des siècle et qui lui fut alors confisqué, cela serait bien allé dans le sens d’une remise en question des principes de gauche qu’on nous présente aujourd’hui comme allant de soi. Mais son dessein est bien différent, et il ne s’en cache nullement. Cette loi a en réalité si bien rempli son rôle contre l’Eglise qu’elle est devenue aujourd’hui caduque. L’Eglise ne cherche plus à demander une coopération étatique et a appris à vivre de manière quasi clandestine, comme aux premiers siècles. M. Sarkozy explique bien que son but est de renforcer l’islam dans notre pays, sous prétexte que cette religion n’aurait pas hérité, en France, des mêmes moyens que les religions chrétiennes, puisqu’elle n’y est pas implantée depuis aussi longtemps.
Finalement, il résout le dilemme de la gauche, divisée entre les deux voies possibles pour affaiblir le christianisme : la laïcité ou l’expansion de l’islam. Il avoue bien tranquillement qu’il faut continuer à lutter contre les avantages du christianisme tout en réformant la loi pour permettre l’expansion de l’islam. Même les socialistes n’auraient pas osé aller si loin !
Vous vous demanderez sans doute pourquoi M. Sarkozy cherche, coûte que coûte, à islamiser la France. Il avoue ne connaître l’islam que depuis peu, grâces aux rencontres qu’il a faites dans le cadre de la création du Conseil français du culte musulman. Mais les musulmans qui ont accepté d’y participer ne sont pas du tout représentatifs de l’islam. Dalli Boubaker le reconnaît lui-même de manière indirecte, lorsqu’il condamne les comportements de ceux qu’il désigne comme des extrémistes, alors que ces comportements sont ceux pratiqués par le fondateur même de l’islam. Au résultat, M. Sarkozy a eu la perception que les musulmans sont « tolérants et pacifistes »*, « d’origine étrangère mais d’esprit profondément français »*. C’est un peu comme si l’on avait jugé, en 1975, les Khmers rouges tolérants et pacifistes en discutant, lors d’un cocktail dans un lieu branché, avec le rédacteur en chef du Monde diplomatique !
Pour votre candidat, un musulman est un citoyen comme un autre. Et pourtant, il dit ne pas comprendre la montée de la violence dans les banlieues, qu’on ne peut que constater. Pour lui, la seule solution consiste à dépenser de l’énergie pour « préciser, rectifier, convaincre et au final essayer d’avancer »*. Mais comme toujours, votre candidat parle d’action sans dire exactement où il veut aller ! Son idéologie lui interdit de reconnaître que le fondement de cette violence est contenu dans l’islam lui-même, sans qu’il n’y ait la moindre dérive d’interprétation puisqu’il ne s’agit que de reproduire le comportement de son fondateur. La société altruiste à laquelle il aspire est celle issue du christianisme. Jamais l’islam n’en a été le promoteur, et toute tentative de révisionnisme de la part des thuriféraires d’un islam doit-de-l’hommiste n’y changeront rien.

Les affaires sociales

Sans reprendre les attitudes ridicules de M. Chirac lors de la campagne de 1995, votre candidat aime malgré tout dénoncer, dès que l’occasion lui en est donnée, les inégalités sociales. Et il sait décliner ce thème sur tout le spectre de ses composantes traditionnelles.
Sur le plan familial, sa vision n’est pas celle de la droite. A commencer par sa défense invétérée de l’avortement, qui a toujours été considéré comme un meurtre jusqu’en 1973 par les milieux conservateurs, jusqu’à ce que Mme Weil, encartée bien étrangement dans un parti de droite, arrive à retourner leur position. Comment accepter aussi son changement d’attitude vis-à-vis du PACS, une loi qui avait été rejetée par les socialistes eux-mêmes en première lecture de peur de choquer leurs électeurs. Est-ce pour ne pas heurter son électorat : croit-il réellement que les Français « soutiennent le PACS et rejettent les discriminations »* ? Non seulement, il reconnaît, contre l’avis de Benoît XVI, le droit des homosexuels à bénéficier de ce type de contrat personnel, mais il a mandaté un groupe d’étude pour se positionner vis-à-vis du projet de mariage de personnes de même sexe, alors que sur un tel sujet, il devrait avoir immédiatement une position claire et nette. Imaginez qu’on ait demandé au général De Gaulle son avis sur la question : aurait-il réuni une commission pour exprimer qu’un mariage ne pouvait pas se concevoir autrement que dans l’union d’un homme avec une (seule) femme ? D’ailleurs, je suis persuadé que si l’on avait posé la question à M. Sarkozy lui-même il y a à peine dix ans, il n’aurait pas répondu autrement ! Il n’est donc pas passé d’une position de droite à une autre de gauche. Il n’a seulement jamais eu d’opinion sur la question, se laissant guider au gré des circonstances, refusant donc qu’il puisse y avoir une vérité immuable sur ce point. Mon cher ami, c’est précisément cette attitude qui est de gauche.

Il aime aussi afficher avec beaucoup d’aplomb sa préoccupation pour l’égalité. Il demande ainsi à ce que, à part quelques uns, les ministres ne bénéficient pas de logements de fonction. Sans chercher à régler le sort des logements de fonction d’un très grand nombre de fonctionnaires et outre la différence entre les beaux discours et son application à lui-même, cette mesure démagogique a pour seul but de faire passer un message : un dirigeant n’est pas un citoyen au-dessus des autres, il doit vivre au niveau moyen de l’ensemble de la population. Comment ne pas faire le lien avec l’esprit de la Révolution culturelle, en Chine, dont les excès conduisirent, par exemple, à condamner un haut dignitaire du régime pour la simple raison qu’il possédait deux montres-bracelets, soit une de plus que ses besoins réels. Pendant ce temps, Mao Tse Tung, qui téléguidait cette action, continuait à vivre une vie très somptueuse. Dans le même ordre d’idée, lorsqu’il vilipendait les dépenses excessives de l’Etat au moment de son installation à Bercy, il exigeait de ses collaborateurs de ne rien refuser à son épouse pour ses travaux d’aménagement dans leur logement de fonction, allant même jusqu’à déloger un ministre délégué afin de récupérer son appartement pour augmenter la superficie du sien…
En marge de ses dépenses personnelles, M. Sarkozy veut par ailleurs réduire le nombre de fonctionnaires. Quelle belle idée ! Mais il souhaite augmenter leur salaire ! Autant dire qu’il ne veut pas modifier la masse salariale de la fonction publique... Aucun fonctionnaire ne sera contre cette mesure. Mais je ne crois pas qu’il la propose pour se rallier leur vote (en général, leurs opinions sont déjà faites...). Il précise que c’est pour rendre plus attractif le métier de fonctionnaire. Est-ce nécessaire, dans un pays où l’ambition de 40 % des jeunes est, justement, de devenir fonctionnaire ? N’est-ce pas plutôt par idéologie : ayant côtoyé la fonction publique par le haut, il a été converti à l’idée que l’administration créé des emplois qui seraient source de relance économique pour le pays. C’est ce qu’on avait cru à Moscou, à une certaine époque. Ainsi que place du Colonel Fabien, encore aujourd’hui.
Mais heureusement, M. Sarkozy tend des perches, pour bien montrer qu’il ne cherche pas du tout à s’attaquer à la fonction publique, et qu’il désire plutôt la renforcer.
Ainsi, pour répondre aux appels des pourvoyeurs de la prétendue écologie, il propose la création d’un corps de fonctionnaires dédié à un grand ministère de l’Ecologie. L’institutionnalisation de ce thème, qui devrait être une préoccupation naturelle, au rang de la fonction publique, n’a conduit qu’à une inversion des réalités, comme les couloirs de bus de Paris l’ont cruellement montré ces quelques dernières années. Encore une fois, M. Sarkozy dépasse les espoirs de la gauche. J’ose à peine imaginer, cher ami, le profil de ces nouveaux technocrates et le discours dont ils seraient les chantres...
Un autre thème est celui du budget de la recherche. Là encore, il ne cherche pas à s’attaquer aux problèmes en profondeur. Plutôt que d’exiger des résultats aux innombrables investissements faits de toute part par l’Etat en matière de recherche, il propose d’augmenter encore le budget public accordé à la recherche théorique. On imagine assez bien dans quels types de recherche ces fonds iraient, alors que la France a besoin de résultats scientifiques et technologiques pour rester compétitive sur le plan international. On est loin des injonctions de De Gaulle qui disait qu’il ne fallait pas à la France plus de chercheurs, mais des trouveurs.
Il souhaite augmenter le budget de l’Education nationale, en déplorant le manque de moyens associés à chaque étudiant de l’enseignement supérieur, inférieur de 20 % à la moyenne de l’OCDE. Mais n’y a-t-il pas trop d’étudiants en France ? Vouloir absolument envoyer toute une classe d’age à l’université ne tient-il pas plus de l’utopie lang-iste que de la réalité sociale ? La vraie réforme consisterait à appliquer les mesures qui avaient été imaginées par M. Devaquet en 1986 (sélection des étudiants selon des profils de carrières), ce qui rendrait à chaque étudiant les moyens qu’il devrait alors légitiment espérer, plutôt que de continuer à former à grands frais d’inéluctables chômeurs.
M. Sarkozy estime ouvertement que le rôle de l’Etat est de sauver les emplois menacés. Ce qu’il reproche au gouvernement de M. Jospin est justement d’avoir échoué en la matière sur un certain nombre de dossiers. Finalement, la différence qu’il affiche avec le parti socialiste n’est pas une conception autre de la politique et de la finalité de l’action étatique : il reproche tout simplement à une équipe gouvernementale son manque d’efficacité autour d’un projet qu’il partage. M. Sarkozy est bien rallié à l’idéologie socialiste : il demande simplement à être élu parce qu’il s’estime être un socialiste plus efficace que ses prédécesseurs !
Par ailleurs, M. Sarkozy fait miroiter à ses électeurs une augmentation des salaires. Quelle que soit la légitimité de tels espoirs, il s’agit là encore de promesses dignes du programme de M. Mitterrand en 1981. Les arguments sont ceux de la CGT aux grandes heures de Krasucki : ce qui est en cause n’est pas la mondialisation, mais le fait que « les salariés sont en position de faiblesse par rapport aux employeurs »*. C’est sans doute pour cela que M. Sarkozy souhaite « qu’on réapprenne en France à pratiquer le dialogue social »*, et espère « l’émergence de syndicats plus forts et plus représentatifs »*.

Sachez, cher ami, que ce dialogue social, organisé autour de syndicats représentatifs d’une catégorie hiérarchique (ouvriers, cadres, patrons), n’est ni plus ni moins que l’institutionnalisation de la lutte des classes. Il serait bien naïf de croire que la droite a vocation à défendre le patronat quand la gauche doit se faire le chantre du prolétariat. C’est la lutte des classes elle-même qui est une invention gauchiste, et qui va, une fois de plus, dans le sens de la division de la société. Les relations sociales naturelles ne devraient en réalité pas s’établir dans une opposition entre les divers niveaux de responsabilité, mais dans le cadre de corporations, où chacun œuvrerait à l’intérêt commun d’une profession.
Le refus du contrat première embauche (CPE) a été un moment phare de l’action gouvernementale de votre candidat. « J’étais persuadé que le CPE serait vécu comme injuste pour la raison simple qu’il l’était »*, nous explique-t-il. Pour lui, il était légitime de le combattre, car ceux à qui il était destiné n’en voulaient pas. Certes, les entreprises s’en seraient bien passé : les chefs d’entreprise les moins altruistes préfèrent embaucher des stagiaires sous-payés plutôt que de s’engager véritablement vis-à-vis de jeunes sans expérience. Quant aux étudiants qui en auraient bénéficié, leur position n’était pas connue puisqu’un groupuscule d’extrême gauche non représentatif parlait en leur nom dans tous les médias, et bloquait l’accès des facultés pour que personne d’autre ne puisse s’exprimer. Les promoteurs du CPE ne l’avaient, de toute façon, pas conçu pour les chefs d’entreprise ou pour les futurs employés. Ils l’avaient imaginé pour le bien de toute la société, pour relancer l’emploi, faire diminuer le chômage, redonner confiance à ceux que l’UNEF-ID et M. Sarkozy souhaitent relancer dans cette fameuse lutte des classes. Aussi, votre candidat n’a pas de mots assez fort pour dénoncer le manque de dialogue social, et appelle au renforcement de la sécurité des salariés. Mais qu’attendre d’autre de celui qui se revendique officiellement autant de Blum et de Jaurès que de De Gaulle ?
Comme tous les partis de gauche, il préfère s’attaquer aux conséquences plutôt qu’aux causes structurelles des problèmes sociaux. Ainsi, s’il dénonce le déficit de la sécurité sociale, il ne remet pas en cause son principe de fonctionnement, à savoir la gestion par les syndicats issus de la Seconde guerre mondiale. Il propose plutôt qu’une loi oblige le gouvernement à prévoir le financement de son déficit, par exemple en augmentant autant que de besoin la CSG. Quand on sait que cet impôt, qui avait permis au gouvernement Rocard à créer le système de l’assistanat généralisé nommé RMI, avait été refusé par la droite, on est en droit de se demander quelle tendance est à l’origine d’une telle démarche. Encore une fois, une idéologie, de gauche, lui impose d’accepter des règles qui vont pourtant à l’encontre du bon sens. Il cherche à se prémunir des désastres engendrés par de telles règles tout en restant à l’intérieur du système. Aussi emploie-t-il de belles formules qui, une fois de plus, paraissent empruntées à l’ère Krasucki : « La réalité de notre système est qu’il protège ceux qui ont quelque chose et qu’il est très dur avec ceux qui n’ont rien. »* Avec de tels propos, mon ami, croyez-vous encore que votre candidat soit un néo-conservateur américain à la française ? Je le considère plutôt comme un néo-conservateur soviétique à la mode de la CGT !
Au-delà du combat des individus, cette lutte des classes doit aussi se faire au niveau des familles. C’est pourquoi il propose le maintien de l’impôt sur la fortune dit de solidarité (ISF), alors qu’il suggère de fusionner tous les autres prélèvements. Les socialistes eux-mêmes n’avaient pas osé faire de l’ISF un impôt si particulier.
Mais votre candidat ne s’attaque pas seulement à la légitime transmission du patrimoine au travers des générations, règle naturelle qui a permis à la France d’être la France. Il déplore le fait que les enfants de cadres ou d’enseignants réussisse mieux que ceux d’autres milieux, et remet ainsi en cause le plus élémentaire des héritages : celui de l’éducation. « Il y a moins d’enfants d’ouvriers et d’employés dans les grandes écoles aujourd’hui que dans les années 1950. On ne peut quand même pas dire que ce soit un progrès. »* Aussi, ce qu’il déplore dans la politique suivie par ses prédécesseurs en termes de zones d’éducations prioritaires (ZEP) n’est pas cette politique elle-même, mais son échec. Il souhaite donc le maintien d’une politique de discrimination à l’encontre des milieux intellectuellement favorisés, ce qui, convenez-le, procède bien de la vision individualiste et égalitariste de la société promue par les partis les plus révolutionnaires.
C’est sans doute dans cette optique qu’il ne souhaite pas remettre en cause la méthode dite « globale » d’apprentissage de la lecture, en laissant libre chaque enseignant de choisir sa propre méthode. Cette méthode, foncièrement idéologique, avait été imaginée pour permettre à chaque enfant d’avoir les mêmes chances dans la vie, en d’autre terme pour faire en sorte que ceux qui pouvaient privilégier de solides références grâce à leur famille ne soient pas avantagés. Pour aller dans ce sens, M. Sarkozy imagine que les enseignants pourraient être évalués sur les résultats des élèves. Pourtant, je n’imagine pas les enseignants chercher l’efficacité maximale pour améliorer leur carrière, dans un système aussi égalitariste que celui de l’Education nationale. D’ailleurs, s’il s’agit de juger au résultat, gageons que les résultats des méthodes les plus modernistes soient très bons, puisqu’ils sont jugés par leur propre évaluation : un élève ne sachant toujours pas lire et écrire peut certainement obtenir de très bonnes notes si les évaluations consistent en des tests à la sauce de la « méthode globale » !
La discrimination prétendument positive, à la mode de votre candidat, ne doit pas s’exercer seulement à l’encontre des Blancs, des fils de cadres ou des chrétiens. Tous les thèmes défendus traditionnellement par la gauche dans ce domaine sont repris par M. Sarkozy. Ainsi, il n’hésite pas à critiquer la situation des femmes, qui sont moins payées et travaillent le plus souvent à temps partiel. Cette volonté de négation du noyau familial au profit de l’individu-roi va donc aussi jusqu’à la négation du rôle traditionnel de la femme dans la société. En effet, même si l’on peut déplorer, comme le font les socialistes, qu’à conditions égales les femmes soient parfois défavorisées par rapport aux hommes, on ne peut pas regretter que les femmes choisissent des emplois qui leur laisse du temps à consacrer à leurs enfants et que leur priorité ait toujours plus porté sur leur famille plutôt que sur leur engagement professionnel. Mlle Royale en a elle même convenu, pour son cas personnel, lorsqu’elle a précisé que si elle prenait de plus en plus de responsabilités en matière politique, c’était parce que ses enfants étaient maintenant élevés et que leur enfance s’était passée sans problèmes. Elle a rajouté que si un de ses enfants avait nécessité sa présence à ses côtés à un âge plus avancé, elle n’aurait jamais hésité et lui aurait consacré le temps qu’elle a fini par consacrer à sa carrière... Au contraire, M. Sarkozy imagine que les femmes doivent pouvoir ne renoncer à aucune de leurs « trois vies »* (épouse, mère, travailleuse). Pourtant, être adulte, c’est justement faire un choix : le choix de sa résidence, quant bien même on aimerait habiter à la fois à la ville et à la campagne, le choix de son conjoint, alors qu’on aimerait les épouser tous, le choix d’un devoir d’état, quand on aimerait se donner de toute part (M. Mitterrand n’avait-il pas du renoncer à devenir un écrivain prometteur pour faire de la politique ?) Ce refus du passage à l’age adulte, cet état d’esprit « jeuniste », rappelle les campagnes médiatiques de Jacques Séguéla.
Mon cher ami, si vous en avez l’occasion, proposez à M. Sarkozy de prendre plutôt modèle sur M. Mitterrand ou sur Mlle Royale pour avoir, enfin, une vision traditionnelle, pour ne pas dire de droite, de la société humaine…
PACS, augmentation du rôle de la fonction publique et en particulier du budget de l’Education nationale, négociations syndicales élevées au rang des vertus, négation du rôle traditionnel de la femme, méthode d’apprentissage de la « lecture globale », spécialisation de l’ISF, refus du CPE, discrimination des milieux favorisés… Un homme de droite ?

La France

La France de M. Sarkozy n’est pas la France. Elle n’est qu’un concept en mouvement. La vision traditionnelle de la France est celle d’un pays qui s’est forgé au cours des siècles, qui a profité du temps pour s’améliorer, en tirant profit de l’expérience de nos aïeuls dont nous héritons des connaissances, de la sagesse et du patrimoine. C’est ce que nous pouvons appeler la tradition. Au contraire, la principale valeur française que M. Sarkozy met en exergue est sa capacité à faire fi du passé : « J’ai été fasciné par cette capacité [du gaullisme] à transgresser les habitudes, les conformismes, les traditions pour pousser tout un pays vers l’excellence »*.
La révolution permanente du Parti communiste n’avait pas d’autre but que d’atteindre l’excellence ! En effet, les partis de gauche n’ont jamais clamé que leur but intime était de conduire des millions de leurs sujets au goulag ! Même Pol Pot et Staline n’avaient pas d’autre ambition. Les exactions n’étaient certainement que des moyens pour y parvenir.
C’est peut être pour cela que M. Sarkozy entrevoit difficilement la place de la France dans l’Europe. Il explique, très justement, que les négociations à Bruxelles pour que la France obtienne le meilleur de l’Union, sont de plus en plus âpres, notamment à cause de sa perte d’influence. Mais ces négociations n’ont, pour seul but, que de récupérer le plus possible de ce que la France a, elle même, versé. L’Europe ne donne rien en propre à la France, elle se contente de lui rendre une partie de ce qu’elle a reçue. La meilleure des négociations serait de quitter cette Union européenne ou de demander des modifications à ses règles communautaires, comme n’ont jamais hésité à le faire les Britanniques. Refuser ce postulat, alors qu’on en reconnaît les méfaits, est encore une fois de l’idéologie. C’est encore une fois essayer de résoudre les problèmes sans s’attaquer aux causes premières. Et cette idéologie, mon cher ami, n’est pas la nôtre : elle est mondialiste et anti-française.

La défense et la sécurité

Mon ami, je suis sûr que, comme beaucoup de Français qui n’ont accès qu’à la presse officielle (TF1, Le Monde, Libération, Le Figaro), vous pensez que M. Sarkozy a renforcé l’action de la police. Pourtant, les syndicats policiers « de droite » se disent inquiets de sa présence à la tête de leur institution, et craignent que s’il y reste, ils finissent par déplorer un mort dans leurs rangs.
N’oubliez pas qu’en novembre 2005, pendant les émeutes, il a veillé personnellement à ce que des policiers qui cherchaient à arrêter un jeune délinquant, soient mis en prison parce qu’ils s’étaient emparés de lui trop vigoureusement. Jamais l’Inspection des services n’a autant entravé l’action policière que depuis que votre candidat est aux affaires. Il demande aux commissariats des résultats chiffrés. Les policiers se sentent alors obligés d’interpréter leurs indicateurs pour prouver que la délinquance baisse. Dormez tranquille, bon peuple, M. Sarkozy veille.
Encore une fois, il refuse de s’attaquer aux problèmes réels de la sécurité. En décrétant, par idéologie, que l’islam n’est pas un problème en France et en mettant tout en œuvre pour le renforcer, il cherche à faire coller la réalité avec cette opinion. La seule solution est alors de cacher la vérité. Mais vous, mon ami, qui voyez le monde réel de vos yeux et non pas par le filtre des indicateurs chiffrés du ministère de l’Intérieur, pensez-vous réellement que la délinquance est sous contrôle ? Iriez-vous vous aventurer dans les quartiers sensibles, que votre ministre ne visite qu’avec une armée de gardes du corps et de caméras de télévisions ?
M. Sarkozy ne souhaite pas vraiment mettre de l’ordre en France. Il souhaite que ceux qui veulent de l’ordre votent pour lui, tout en entravant l’action de la police. Idéalisation du criminel, car victime lui-même de la société… Est-ce une politique de droite ?
En matière de défense, là encore, croyez bien que si M. Sarkozy s’installait à l’Elysée, la France en serait gravement affectée.
A la sortie de la guerre froide, le monde est devenu beaucoup plus instable qu’il ne l’avait jamais été. En effet, pendant cette période de stabilisation imposée, la technologie a créé des armes de plus en plus performantes, le nombre d’Etats reconnus s’est accru, les groupes mafieux ou terroristes ont acquis des moyens de communications dont ne pouvaient pas même rêver les superpuissances vingt ans plus tôt, la mondialisation a accentué la mise en relation de civilisations en oppositions ancestrales, de nombreux groupes vaguement constitués se sont trouvés livrés à eux-mêmes, certains pour la première fois de toute leur histoire. Le résultat est que les conflits armés n’ont jamais été aussi nombreux depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.
Le problème de la survie des intérêts vitaux de la France, rôle dévolu à la Défense nationale selon la constitution comme dans l’entendement classique, est devenu particulièrement prégnant. C’est sur le sol même de sa métropole que la France paraît maintenant concurrencée, non pas par l’occupation d’un Etat qui veut remplacer le nôtre dans l’administration de ses citoyens (comme dans les guerres qui nous ont opposé à l’Allemagne depuis 1870), mais par une civilisation qui concurrence la nôtre sur son territoire ancestral.
Etre militaire, au début du XXIe siècle, paraît être un métier d’avenir ! La réduction du budget de la défense devrait paraître pour le moins incongru, à moins de la souhaiter coûte que coûte pour des raisons idéologiques.
C’est pourtant le désir de M. Sarkozy. Pour des raisons qui étaient sans doute liées à des rivalités de clans, il n’a cessé, depuis 2002, à s’opposer à Mme Alliot-Marie, en relativisant ses besoins, que ce soit depuis Bercy, où il tenait les cordons de la bourse, comme depuis la place Beauvau, où il a cherché à discréditer la priorité à accorder aux forces armées par rapport aux forces de sécurité.
Pourtant, la diminution des moyens de la Défense est un thème de gauche. Même si les révolutionnaires de tous pays ont fait passer par les armes des millions d’opposants, ils prônent tous la philosophie du pacifisme, qui consiste à considérer qu’il vaut mieux se laisser envahir que de risquer un conflit armé. Les gouvernements de gauche ont toujours renforcé les moyens militaires au moment où leur régime était attaqué militairement : pensez à Robespierre, Clemenceau, Staline. Mais ils refusent l’idée de moyens militaires en temps de paix, refusant finalement de se prémunir des menaces à venir, dans la lignée de leur ambition sociale qui consiste à dépenser tout de suite les richesses disponibles sans économiser en prévision des disettes futures.
Finalement, il refuse de croire au danger, un peu comme si le fait de le nier devait finir par le faire disparaître : « L’énergie qui subsiste dans notre société est utilisée non pour progresser, mais pour se protéger. Se protéger de tout et de tous semble être devenu le dernier recours de trop de nos compatriotes. »*
Cette déclaration est bien un credo matérialiste, contraire à l’organisation de la société traditionnelle. A l’origine du lien social de notre civilisation occidentale, le seigneur avait le devoir de protéger ses paysans et artisans, qui produisaient les richesses matérielles. C’était sa raison d’être. Cela devait être aussi la raison d’être de l’Etat moderne. Encore faut-il reconnaître les ennemis. Je crois, mon ami, que votre candidat comprend mal à propos la fameuse phrase de Jean-Paul II : « N’ayez pas peur ». Le Saint-Père ne voulait pas dire qu’il n’y a pas d’ennemis sur Terre, que tout le monde est gentil, qu’il suffit que chacun baisse la garde pour que la paix s’installe enfin ici-bas ! Sinon, il aurait laissé les communistes de Pologne continuer à massacrer son peuple. Il voulait plutôt dire : « Soyez courageux, sachez défendre les vôtres si c’est votre devoir, restez vous-mêmes contre ceux qui veulent faire de vous autre chose, fut-ce au péril de votre vie. » Ce « N’ayez pas peur » est un cri de droite. La position de M. Sarkozy est de gauche.
Ses relations avec la Défense, en tant qu’institution, ont d’ailleurs toujours été houleuses. Il le rapporte dans son livre*, où il explique que le budget du ministère de la Défense est exécuté comme une boîte noire, sans compte-rendu à Bercy. Quel étonnement, quand on considère que ce ministère est, traditionnellement, considéré par les fonctionnaires des finances comme le bon élève de la fonction publique, appliquant systématiquement tous les règlements avec la transparence la plus grande ! Il précise en outre que les questions de Défense devraient être débattues au sein du Parlement. Même si certaines décisions stratégiques sont prises en Conseil de défense restreint, comment un ministre d’Etat pourrait-il ignorer que l’Assemblée nationale dispose d’une commission de Défense, qui interroge de nombreux responsables en préparation du vote du budget ? Mauvaise foi ou attaque instinctive contre une institution envers laquelle votre candidat semble avoir une opposition naturelle ? La Défense ne produit rien de concret : il faut donc la sacrifier au nom du productivisme et de l’économie ! Ce fut la position de Lénine, pendant quelques mois. Car c’est toujours la position de la gauche tant qu’elle n’a pas besoin de militaires pour étendre son idéologie prétendument pacifiste. Même Mlle Royale, issue d’une famille de militaires, a sur ce point des réflexes bien plus à droite que M. Sarkozy.
Finalement, la conception de votre candidat en matière de défense est un peu celles de Robespierre : un Etat doit se passer de force armée, sauf s’il s’agit d’étendre le modèle philosophique des Lumières au monde entier. C’est sans doute en ce sens qu’il refusera « l’engagement de nos forces militaires lorsque les conditions démocratiques ne sont pas remplies. »* Quelle vision réductrice de la définition des « intérêts vitaux de la France », au mépris de toute tradition géopolitique !

L'économie

Le libéralisme : c’est le seul point où M. Sarkozy insiste pour paraître à droite. Mais le libéralisme excessif n’est ni plus ni moins que la consécration du matérialisme, et le modèle économique d’un libéralisme à outrance tend vers celui du communisme. Le modèle libéral associé à la mondialisation peut en effet conduire au même résultat. Lorsqu’un secteurs économique est intégré dans une ou deux multinationales, la production est répartie par secteurs géographiques par la direction centrale en spécialisant certaines usines du groupe, anciennes PME rachetées. C’est ce qui se passe par exemple aujourd’hui au sein du groupe EADS, et c’est ce qui pourrait se passer demain pour toute l’industrie si la logique libérale était appliquée de manière globale. Y a-t-il une différence avec la politique économique de feu l’URSS ? La seule différence est que le comité exécutif qui prend la décision ne s’appelle pas « comité central du Parti communiste » mais « conseil d’administration ».
Quelle est alors la finalité de l’action économique de votre candidat ? Eh bien, il la révèle dans son livre* : la baisse des prix. Encore une fois, mon ami, je ne cherche pas à critiquer cette ambition. Il me semble simplement que cette proposition ne doit pas être une priorité politique. La dernière fois qu’elle l’a été, sous le ministère de M. Moroy en 1981, cela conduisit à une catastrophe économique. Si aujourd’hui les prix sont devenus si élevés en France, c’est pour financer les nombreuses charges qui, elles, financent les mesures de non travail voulues par la gauche (RMI, augmentation imposée des salaires pour une diminution du temps de travail, etc.) Prétendre, comme le laisse entendre M. Sarkozy, que la hausse des prix a pour but « de s’enrichir indûment sur le dos des Français »*, est davantage digne d’un meeting de la CGT que d’une réflexion sincère.

Les relations internationales

Le monde qui serait celui du quinquennat de M. Sarkozy n’est plus celui du général De Gaulle. Depuis la chute de l’URSS, la mondialisation est en plein essor. Votre candidat analyse parfaitement les contraintes qu’elle engendre pour l’action de politique nationale. Mais il n’en tire pas les bonnes conclusions : au lieu de chercher à la remettre en cause, il explique qu’elle n’est qu’une contrainte avec laquelle il faut apprendre à vivre : « A nous d’inventer l’action qui va avec ! »* Cette attitude est la même que celle d’un médecin qui refuserait de plâtrer une jambe cassée pour la soigner, et expliquerait au malade qu’il devra plutôt vivre toute sa vie dans un fauteuil roulant mais que cela ne devrait pas entamer son moral !
La mondialisation, on peut voir qu’il la souhaite autant que les journalistes de Télérama ou de Libération, dans l’économie, certes, mais aussi dans le métissage des cultures au sein même de la vie privée des populations. C’est dans ce sens qu’il vante les succès cinématographiques de L’Auberge espagnole et des Poupées russes, films probablement talentueux mais dans lesquels la culture du libre-échangisme mondial est présente dans chacune des scènes. Lorsqu’il est critique au sujet de l’instauration de cette mondialisation, ce n’est pas vis-à-vis du manque de prudence des entreprises françaises, c’est plutôt à l’égard du manque d’audace des partis politiques, qui voudraient selon lui pour les uns essayer de l’empêcher, pour les autres ne pas en tenir compte. La mondialisation serait, pour lui, un postulat avec lequel on doit s’accommoder, et dont il ne s’agirait même plus de discuter. Sans oser parler de l’idéologie qui est à l’origine d’un tel enthousiasme, reconnaissez, mon ami, que sur le plan purement politique, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un aveu de démission de la liberté d’action face à un pouvoir qui serait supérieur. Faire abdiquer la France : est-ce une vision de droite ?
Pour M. Sarkozy, le respect des droits de l’homme est le « fondement de la notion même de droit international »*. C’est d’ailleurs le but que s’est officiellement fixé l’Onu. Mais n’est-ce pas là l’espoir des philosophes des lumières, atteint grâce à l’action de Roosevelt ? Cet homme fut, certes, le sauveur de l’Europe face au IIIe Reich. Mais il fut aussi l’ami de Staline, l’homme du New Deal, le président américain considéré par beaucoup comme l’un des plus à gauche de tous les temps américaine. D’autres ordres internationaux étaient fondés sur des doctrines plus traditionnelles, à commencer par la Chrétienté (jusqu’à la Renaissance) ou encore le Congrès de Vienne... D’ailleurs, M. Sarkozy va plus loin que Roosevelt ne pouvait l’espérer, puisqu’il estime que « la mondialisation est une occasion unique de généraliser le respect des droits de l’homme et de la démocratie »*. La seule chose qu’il déplore dans la mondialisation, c’est le risque qu’elle engendre de « soumettre des hommes et des femmes à des cadences de travail infernales et pour des salaires de misère »*. On croirait lire Germinal ! Finalement, la mondialisation souhaitée par M. Sarkozy est celle du projet de M. Bové, celle qu’on appelle désormais l’alter-mondialisation. Quel regret, doit-il avoir, de ne pas avoir été à la place de M. Chirac lorsque celui-là a rencontré en 2006 le président alter-mondialiste du Brésil Lula Da Silva. Mais il est vrai que les opinions socialistes d’un président, élu une première fois pour avoir dénoncé une « fracture sociale » et une seconde fois pour faire barrage à la droite, ne sont plus à démontrer.
M. Sarkozy estime que les relations internationales ont pour but de faire avancer les grands dossiers qui engagent l’humanité présente (affaires sociales) ou à venir (développement durable). C’est une vision universaliste, qui va à l’encontre de la doctrine traditionnelle de la politique. Selon cette dernière, ce qui est universelle, c’est la morale : le bien et le mal, le juste et le faux... Ainsi, sous n’importe quelle latitude, il est mal, par exemple, de tuer un être humain innocent. Mais le gouvernement des hommes passe par les nations. Ainsi, insister, comme le fait votre candidat, sur l’importance du protocole de Kyoto, l’augmentation des aides aux pays pauvres pour assurer « la stabilité du monde »*, la mobilisation pour faire reculer le Sida, consiste à aborder l’avenir avec une vision qui n’est pas la nôtre. La stabilité du monde, par exemple, n’a jamais été assurée en donnant de l’argent aux pays susceptibles de nous envahir. Même les plus munichois n’avaient pas pensé dire qu’il fallait donner de l’argent à l’Allemagne hitlérienne en 1938 pour la dissuader de nous envahir !
Quant à la mobilisation contre le Sida, le moindre des discours, que je n’ai pas entendu chez votre candidat, serait de reconnaître qu’une politique qui prône la multiplication des partenaires sexuels est criminelle et ne permettra jamais d’enrayer cette pandémie. Finalement, le message qui permettrait le mieux d’enrayer cette maladie est celui qui est diffusé par l’Eglise catholique. Cela est si vrai que les pays africains où la maladie est la moins répandue sont justement les catholiques. Mais ce message, qui va à l’encontre des modifications sociales engendrées par le mouvement de Mai-68, n’est jamais prôné par M. Sarkozy.

La gauche

En réalité, il est assez difficile de définir la droite et la gauche. Le principe de cette séparation est finalement assez moderne. Au Moyen-âge, la société n’était pas divisée. Lorsqu’un péril s’abattait sur une région ou sur le pays, l’ensemble de la population faisait front commun, sans chercher la division.
Ces divisions ont commencé avec l’introduction du protestantisme, si bien que certains historiens font remonter l’idée de division de la société sur sa gauche à la proclamation de l’Edit de Nantes, en 1598. Eh bien M. Sarkozy y voit justement le fondement de la morale politique moderne dans laquelle il se reconnaît : liberté de conscience, égalité civile... En fait, le prix à payer pour la fin des guerres de religion était justement l’acceptation de la division de la société en une droite et une gauche, cette dernière promouvant la France de M. Sarkozy, dont il appelle une mise à jour des valeurs « qui ne sont pas toujours ce que nous croyons »*. C’est pourquoi il propose de doter l’opposition parlementaire d’un statut officiel, ce qui institutionnalise cette notion de division de la France, pérennise la confiscation du pouvoir par deux partis, revient à reconnaître que la démocratie ne représente que ce qu’elle admet comme peuple, à savoir les électeurs de ces deux partis et eux seuls. Convenez, mon ami, que les fondements de tels idéaux sont bien révolutionnaires ! Il ne s’agit plus, certes, de guillotiner ceux qui ne sont pas du « peuple » reconnu, ou de rééduquer les opposants au régime, donc opposants à ce « peuple », mais tout de même de faire la part des choses entre une opposition légitime et une autre, plus ou moins reléguée au rang de paria. Ce que certains appellent déjà l’UMPS rappelle le PCUS, dont la présidence prenait les décisions les plus importantes du pays. En somme, l’entente collégiale entre les deux chefs de partis, associées à une importance croissante du Parlement, reviendrait à doter la France d’une démocratie populaire.
D’ailleurs, lorsque M. Sarkozy précise que le pays ne peut pas être divisé entre un peuple de droite et un autre de gauche, ce n’est pas pour critiquer cette division comme intrinsèquement de gauche, mais au contraire pour accepter un héritage commun, et se reconnaître autant dans l’héritage de Clemenceau, de Blum et de Jaurès que dans celui de De Gaulle : c’est manifestement de ce passé-là qu’il est fier !
Par la suite, les idées de gauche se sont élaborées comme une opposition aux idéaux qui avaient fait l’unanimité dans la civilisation européenne. Leurs principaux architectes ont trouvé gloire au siècle des Lumières.
La République française trouve ses fondements dans les pensées de ces philosophes. Mais il convient de savoir que ces transformations étaient d’inspiration gauchiste, alors que ce qu’on peut appeler la droite n’a eu de cesse que de chercher à les limiter. Le Contrat social de Rousseau est peut être bien le fondement de notre société actuelle, mais s’en prévaloir pleinement n’est ni plus ni moins qu’une attitude de gauche.
En matière de pouvoir, le refus de la primauté du divin a conduit Rousseau à craindre toute forme de pouvoir, et Montesquieu à théoriser la séparation des pouvoirs. M. Sarkozy revient sur cette théorie sur ce qu’elle a de plus philosophique, de plus opposé à l’ordre naturel qui avait prévalu avant l’avènement du rousseauisme. Ainsi, il souhaite que les magistrats puissent être poursuivis s’ils commettent des erreurs judiciaires. Il milite finalement pour une sorte de justice populaire absolue, où tout magistrat se méfierait, avant de condamner quelqu’un, de la condamnation dont il pourrait être lui-même victime si la rue le récusait. Un peu comme dans les pays où la charia est pratiquée, le pouvoir des magistrats finirait par être remplacé par la ferveur des foules, l’émoi du moment, l’éloquence de quelques tribuns : « Mon point de vue est que la dissolution sociale commence lorsque des gens ont un pouvoir important sur la vie de leurs concitoyens, mais ne sont tenus d’en répondre devant personne ! »*
Plus près de nous, le mouvement de Mai-68 était bien d’inspiration gauchiste. Ces événements sont si récents que la plupart de nos concitoyens en sont d’ailleurs encore conscients ! Pourtant, les modifications sociales qu’il a apportées sont maintenant si acceptées qu’on en oublie leur fondement idéologique. Ainsi, la liberté sexuelle n’a jamais été une valeur universellement acceptée en France. Une telle transformation de la société a fini par dénaturer les notions les plus élémentaires de bien et de mal en la matière, si bien que de pauvres gens se sont transformés en délinquants sexuels. Mais pour ne pas remettre en cause les « avancées » de 1968, on rejette tout lien entre les deux sujets, en estimant que ces délinquants ne sont que des malades « malheureusement incurables »*. Le rôle de la société doit alors se limiter à « se protéger contre ces personnes »*, sans chercher à transformer les bases sociales qui conduisent à de tels comportement. Cela me paraît aussi éloigné de la morale réelle que de prétendre que l’échangisme à outrance n’a aucun impact dans la progression des maladies sexuellement transmissibles !
En réalité, pour M. Sarkozy, l’action politique n’est pas la recherche du bien commun, mais l’activisme : « Les conditions d’exercice du pouvoir changent, pas son but, qui est d’agir. »* On est bien loin de la définition de la politique selon Platon. Cette démarche ressemble plutôt à la notion marxiste de la révolution permanente, appliquée si justement par Mao lors de la révolution culturelle : pour conserver le pouvoir, qui commençait à lui échapper, il inventa cette notion qui consistait à remettre en cause les dirigeants avec l’appui des gardes rouges, jeunes militants à qui tout pouvoir était donné pour condamner ceux qui se seraient embourgeoisés au cours des années de communisme.
D’ailleurs, il estime que « le rôle de l’économie est de produire des richesses, le rôle de la politique est de les partager équitablement »*. On retrouve encore une fois la vision marxiste du rôle de l’Etat, exposée dans Le Capital. Jusque là, le but de la politique était de diriger la cité afin de promouvoir le bien commun. Chacun était libre de produire autant de richesse qu’il le souhaitait, mais il devait participer aux travaux d’intérêts généraux. Les dirigeants devaient veiller à l’ordonnancement de ces travaux et assuraient la sécurité du peuple. Cette notion de travaux d’intérêts généraux s’est transformée en impôts, permettant de payer des fonctionnaires à qui était dévolue cette mission de manière permanente. La gauche a alors envisagé une autre vision du monde : les richesses appartiennent à tout le monde, le rôle de l’Etat est de les confisquer, par des impôts, afin de faire en sorte que ceux qui ne travaillent pas profitent du travail des autres. Mais elle n’a rien inventé : elle s’est contentée de théoriser la vision de la captation des richesses d’autrui pratiquée par les barbares de tous les temps, des Huns aux Barbaresques. Quelle tristesse de voir votre candidat rallié, aujourd’hui, à cette vision de la politique, et surtout vous, mon ami, rallié à lui…

La droite

On comprend en lisant La République, les religions, l’espérance que pour M. Sarkozy, être de droite, c’est être pragmatique, reconnaître que trop de générosité peut nuire au bon fonctionnement du pays. C’est pourquoi, même s’il critique la rigidité et l’utopie du modèle social français, il croit néanmoins que « sur le papier, il est incontestablement parfait »*. Finalement, la générosité, c’est la gauche, mais comme il faut être réaliste, il faut se rendre aux évidences et restreindre cet altruisme. Grâce à lui, la gauche retrouve le monopole du cœur, que lui avait confisqué M. Giscard d’Estain. Tout compte fait, pour votre candidat, le monde idéal est de gauche. Quel inversement des valeurs ! Il demande juste à la droite d’être aussi humaniste que la gauche, sur ce qu’il croit être les chevaux de bataille de celle-là : « La droite doit défendre avec le même acharnement que la gauche la justice, l’équité, l’équilibre »*. Mais ce ne sont justement pas les finalités de la gauche, qui souhaite au contraire l’égalité (qui n’est pas l’équilibre), la lutte des classes (qui n’est pas la justice) et le mépris d’être Français (qui n’est pas l’équité). Si la gauche défendait vraiment ces valeurs, eh bien, pour quelle raison devrions-nous nous battre contre elle ?
Les valeurs qu’il croit partager avec la gauche, c’est la réponse à « l’exigence de solidarité qu’elle perçoit au sein de la société »*. Des droits plutôt que des devoirs ? Comme voilà une vision du monde bien à gauche, justement bien éloigné de la justice et de l’équité dont il parle !

D’ailleurs, toute la dialectique de M. Sarkozy consiste à ne pas trop paraître à droite. Ainsi, il se défend d’être trop américanophile, car cela fait certainement trop droitiste. Il reconnaît aussi des réussites outre-atlantiques, sans vouloir passer pour « un suppôt des inégalités et des excès des Etats-Unis d’Amérique »*. Il se défend de n’aimer en Amérique que ce qui est le plus protestant : partir de rien et avoir une réussite exceptionnelle, échouer et avoir droit à une seconde chance, la minimisation des codes sociaux, la discrimination positive. La mise en exergue de ces thèmes est, encore une fois, une forme de matérialisme qui n’est pas de droite. La réussite sociale ne doit pas être le but de la vie. La vie n’est pas une compétition permanente.
D’ailleurs, il veut remettre en question tout ce qui est le plus à droite dans la Ve République, à commencer par le rôle si central de la présidence, qu’il veut « moins monarchique, plus transparente, plus moderne, plus démocratique »*, et à qui il veut supprimer le droit de grâce. Il prône un régime parlementaire, une sorte de IVe République dont le Président serait une sorte de Premier ministre, sans doute pour se préserver tout de même une fonction lorsqu’il s’asseira, car il n’en doute pas, dans l’espéré fauteuil élyséen. Pourtant, nous devons cet équilibre au général De Gaulle qui, en 1958, alors qu’il venait de se convertir au républicanisme, n’en demeurait pas moins un homme de droite, attaché à l’ordre naturel des choses. Sur le plan juridique, la nature républicaine de la France signifie surtout qu’elle n’appartient qu’à elle-même, et n’est pas la propriété d’une famille qui en hérite comme on hérite d’une propriété. Ce concept est davantage juridique que moral. Au jour le jour, ce qui est important est la façon dont le pouvoir est réparti au sein de ceux qui doivent l’exercer. En effet, notre ve République est, sur ce point, d’inspiration plutôt monarchique. Vouloir s’attaquer à cet aspect consiste à remettre en cause l’un des seuls héritages de droite du gaullisme (avec l’indépendance stratégique).

Finalement, être de droite, si l’on doit accepter d’utiliser cette terminologie, c’est refuser les idéologies pour ne reconnaître que la vérité. C’est refuser par exemple une pensée qui va à l’encontre de la réalité pour faire coller la nature à ce qu’on aimerait qu’elle soit. C’est reconnaître, comme Benoît XVI à Ratisbonne, la primauté de la raison. A contrario, lorsque M. Sarkozy dit, à propos des homosexuels, que « la sexualité n’est pas un choix, mais une identité »*, il exprime une idée que cherchent à répandre des lobbies bien actifs dans notre société, mais qui n’est que pure fantasmagorie. L’idéologie sous-jacente cherche pourtant à affirmer quelque chose de vrai, la non discrimination des gens qui pratiquent des relations sexuelles avec les personnes du même sexe. Mais l’on ne naît pas homosexuel comme on naît petit ou grand, blond ou brun, homme ou femme. La non discrimination doit simplement s’entendre comme le fait de ne pas juger les personnes sur leur comportement, bien que le comportement lui-même puisse être condamnable s’il le mérite. Finalement, être de droite, c’est tolérer les personnes au nom de la charité sans tolérer les actes mauvais. Etre de gauche, c’est le contraire, c’est-à-dire tolérer toutes les erreurs de comportement sous couvert de libéralisme sans tolérer les personnes qui refusent le système.
La pensée de droite se distingue aussi par une certaine idée de la hiérarchie au sein de la société. Cette idée se rapproche d’un modèle aristocratique de la société tout entière, non pas une société d’inégalités, mais un ordre où les meilleurs occupent les places où ils peuvent faire de leur mieux : un bon ébéniste est quelqu’un qui sait faire de bons meubles, un bon officier est celui qui sait bien commander, un bon juge a le sens de la justice, un bon ministre réunit les qualités intellectuelles rares qui lui permettent de mener une politique qui ira dans le sens du bien commun. Pour M. Sarkozy, l’essentiel, pour gouverner, c’est seulement d’avoir été choisi : « En politique, il est plus dangereux d’avoir été juste nommé que d’avoir été contraint de conquérir »*. Pour lui, être le meilleur, c’est être celui qui a su le mieux naviguer dans les arcades politiciennes, qui a su convaincre des millions de gens dont la politique n’est pas le métier, qui a choisi le meilleur conseiller en communication, qui a pu obtenir le plus d’argent pour mener la campagne la plus médiatique, qui a su se rallier le plus de journalistes... Même si cet argument est surtout orienté contre celui qui est censé être son chef au gouvernement, cette attaque personnelle cache une réalité philosophique : le suffrage universel donne l’onction qui révèle la compétence nécessaire au gouvernement du pays. Cette vision à la Rousseau, bien que partagée par de nombreux penseurs modernes, n’est pas celle qu’on peut convenir d’appeler une vision de droite.
M. Sarkozy est un peu l’anti-Napoléon. Ce général, issu de la gauche (des mouvements révolutionnaires), avait voulu appliquer une politique de droite et en apportait la preuve par le soutien qu’il avait obtenu de l’Eglise catholique, qui à l’époque incarnait auprès de tous la garantie d’une conformité avec les valeurs morales. Votre candidat, lui, serait issu de la droite, applique une politique de gauche, avec le soutien moral d’associations immigrationnistes ou de « jet setteurs » tels qu’Arno Karlsfeld. C’est bien cette morale là qu’il invoque très explicitement pour justifier qu’il ne peut pas refuser de scolariser, en France, les enfants d’immigrés clandestins.
Finalement, leur seul point commun entre Napoléon et M. Sarkozy est que la philosophie à laquelle ils adhèrent reste de gauche, puisque l’Empereur des Français, sous cette couverture conservatrice, cherchait bien à imposer, avec les mêmes méthodes sanglantes que celles de Robespierre, la philosophie des Lumières au monde entier.

La droite dite « nationale »

Pour M. Sarkozy, les 19 % de Français qui ont voté pour M. Le Pen en 2002 ont effectué un « vote protestataire* ».
Cela est certainement le cas de quelques un de ces électeurs. Mais comment considérer comme une protestation la demande de gens qui espèrent voire des propositions simples et pragmatiques se réaliser ? Ce vote n’est protestataire qu’aux yeux de ceux qui croient que le pouvoir ne peut se partager qu’entre l’UMP et le PS. Ainsi, comme au temps des démocraties populaires, le débat ne peut avoir lieu qu’au sein des idées défendues par ces partis, idées communes pour la plupart. Aucun débat de fond ne peut être envisagé, comme l’a bien montré M. Chirac en 2002, lorsqu’il refusa de débattre avec M. Le Pen. Ses 19 % ne représentaient pas « le peuple », et ne devaient pas être comptabilisées. De la même façon, les opposants de Robespierre n’étaient pas « du peuple » et devaient être éliminés (à l’époque, c’était par la guillotine), et les Russes qui n’étaient pas membres du Parti communiste étaient contre « le peuple », leur avis ne devait pas être pris en compte dans le cadre de la bonne marche de la démocratie. Après tout, « démocratie » signifie « le gouvernement du peuple par le peuple », mais c’est à ceux qui tiennent le manche de définir ce qu’ils entendent par « peuple ».
M. Sarkozy va d’ailleurs plus loin, lorsqu’il dit que la présence de M. Le Pen au second tour était « contraire à l’identité de la France ». Outre le fait que l’émergence d’un parti « nationaliste » qui cherche à défendre l’identité de la France ne peut pas, par définition, être contraire à cette même identité, cet aveu est aussi celui de la définition de la France de M. Sarkozy. Il s’agit bien de celle des Révolutionnaires de la première heure, pour qui la France n’était pas une histoire (du passé table rase) ou même une simple géographie, mais un concept ayant vocation à s’étendre sur la terre entière, comme ils cherchèrent à le faire par leurs guerres. Sa France est celle qui s’oppose à l’idée de nation, donc de reconnaissance envers nos aïeux et de préservation de ce qu’ils nous ont transmis.
Aux candidats qui aujourd’hui défendent des idées qui ont toujours fait leur preuve, on oppose de manière subversive un système idéologique fondé sur le mépris de l’héritage légitime, familial comme national, qui doit être dispersé par l’ISF, par l’immigration, par la mondialisation, par la réduction du temps de travail. La victimisation des criminels va à l’encontre des innocents. Le mur de Berlin s’est effondré, mais il n’avait plus lieu d’exister puisque l’Ouest est passé à l’Est.

Mais vous, mon ami, qui résistez encore un peu à l’unification des esprits puisque, contre tout le système médiatique, vous vous estimez encore à droite, pourquoi vous laisseriez vous berner ?

En 2007, mon cher ami, je vous en prie, puisque vous êtes de droite, ne votez pas à gauche.
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